On dit souvent que pour connaître sa mission de vie, il faut interroger l’enfant que nous étions, ses rêves et ses aspirations. Lorsque j’étais petite, je m’en souviens très bien, je voulais être archéologue ou géologue ; j’avais même griffonné sur un bout papier ma propre carte de visite : Stéphanie Peel, Géologue pouvait-on lire à côté d’un maladroit dessin me représentant en train de gravir une montagne et de trouver une pépite qui brillait de mille feux. C’est ainsi que je me voyais : au sommet, triomphante et le sourire aux lèvres d’avoir débusqué un trésor caché.
Stéphanie Peel
Les Occultées - Septembre 2021
Et si la petite fille que j’étais ne s’était pas tellement trompée ?! Même si, à l’heure actuelle, je ne suis ni archéologue ni géologue, le rêve de chercher et surtout de trouver la pépite qui ne demande qu’à briller ne m’a jamais vraiment quittée. Aujourd’hui, je me définirais volontiers comme une « chercheuse compulsive », je ne me lasse jamais de fouiller, d’explorer, de chiner, de mettre au jour la perle rare, ce qui demeure dans l’ombre.
Romaniste de formation et professionnelle de la communication, j’ai travaillé en tant que chargée de communication au Théâtre Royal de la Monnaie avant de revenir à mes premières amours à savoir l’enseignement et la recherche. Mon sujet d’étude, digne d’une véritable fouille archéologique, traite des liens entre ésotérisme, littérature et féminisme. Riche de ma formation en Gender Studies, je m’intéresse à un corpus d’œuvres féminines pour grande part oubliées et j’aspire plus que jamais à (re)mettre en lumière ces femmes si longtemps occultées. J’ai donné de nombreuses conférences à Boston, à Lille et Orléans notamment et écrit divers articles sur le sujet qui ont suscité un réel intérêt de la part du grand public. C’est à partir de là qu’est né le projet « Les Occultées » dont le but est de transmettre mes recherches d’une manière vulgarisée et interactive afin de la faire connaître au plus grand nombre (voir la page Instagram du projet). Forte de ma formation et de mon expérience en communication, je désire d’une certaine manière « désocculter » l’occulte et sortir ces femmes extraordinaires de l’ombre afin de leur redonner une voix.
Les Occultées : plein feu sur l'invisible
Nom évocateur à plus d’un titre, les « Occultées » sont d’abord et avant tout des femmes qui ont été jusqu’ici mises sous scellés, réduites au silence et peu à peu effacées. Pourquoi ? Car, elles ont fait l’objet d’une double stigmatisation : en tant que femmes qui sortent des rangs d’une part et en tant qu’adeptes des courants ésotériques d’autre part, savoirs par définition hétérodoxes et cachés.
Ces oubliées de l’histoire ont pourtant agi, en secret parfois, pour faire valoir leurs droits, exprimer leur voix et tenter de changer le monde qui les entoure. Qu’elles soient médiums, objets d’expérimentation scientifique, écrivaines, philanthropes, militantes, prophétesses ou messies, ces femmes ont eu un impact non négligeable sur la société de leur temps et ont trouvé des stratégies pour contrer leur marginalisation et sortir des ornières qui leur ont été imposées.
Or, c’est paradoxalement grâce à ces courants occultes qu’elles ont pu prétendre à une plus grande liberté et mener un combat pour leur autonomie. Ces derniers leur ont donné de nouveaux arguments et une nouvelle place à revendiquer ; ils ont été leur point d’appui vers un militantisme de plus en plus marqué ; si bien que l’on peut considérer que les courants ésotériques ont été le terreau fertile et insoupçonné des premières luttes féministes de la fin du XIXe siècle. En se réclamant adeptes des sciences occultes et souvent en tant que médiums ou interprètes privilégiées des enseignements ésotériques, ces femmes se trouvaient, en effet, dans une curieuse position : d’une part dominante, car elles étaient écoutées, adulées, encensées, publiées même ; mais d’autre part dominée, car elles ont à l’inverse également été inspectées, entravées, aliénées, muselées. Ce statut ambivalent, à la fois actif et passif, leur a permis de faire bouger les lignes des normes genrées et de prétendre à une plus grande autonomie et liberté d’expression.
C’est cette position particulière qui j’aimerais interroger pour montrer comment ces femmes ont pu, chacune à leur manière, déjouer le système de l’intérieur et trouver des voies d’émancipation tout en intégrant la domination en place. Du spiritisme à l’occultisme en passant par la théosophie, nous aimerions évoquer le parcours de ces femmes dont l’histoire n’a peu ou presque pas retenu le nom : Hélène Smith, Honorine Huet, Émilie Colignon, Julia Bécour, Antoinette Bourdin, Marie-Antoinette Bosc, Jane de la Vaudère, Jeanne de Tallenay, Lucie Grange, Olga Bézobrazow, Claire Galichon, Olympe Audouard etc. pour n’en citer que quelques-unes. En nous basant sur leur parcours et leurs écrits, nous tenterons de mettre en lumière les différentes stratégies possibles pour ces femmes afin de passer d’objets d’étude à sujets réflexifs pour finir par agents concrets de changements sociétaux.
En somme, un diaporama aux allures d’invocation de ces occultées de l’histoire qui ont pourtant par leurs idées, leur détermination et leurs actions fortement marqué leur époque. Par rapport à des masculinités bien établies, ces femmes ont tenté d’avoir une voix, même si ce n’était pas toujours la leur, et ont trouvé des moyens détournés pour exister, et d’une certaine manière, survivre dans un monde hostile à leur talent.