Un homme et une femme se retrouvent dans un café. Le temps a passé. Comment en sont-ils arrivés là? En archéologue passionné par le mystère de l'être humain, Harold Pinter nous fait remonter le temps pour examiner les moments clefs d'une passion à trois.
Trahisons
de Harold Pinter - avec Florence Hebbelynck, Jean-Marc Delhausse et Gaëtan Wenders
En choisissant un jeu “naturel”, tout en retenue, presque cinématographique, Bruno Emsens propose un spectacle sans accent théâtral, sans éclats de voix, mais il favorise l’empathie du spectateur. On s’y laisse prendre.
— Camille de Marcilly, La Libre Belgique
Il est évidemment question de trahisons, de trahisons multiples. Emma envers son mari Robert, puis Jerry envers Robert, son meilleur ami. Mais il est aussi et surtout question de trahison envers soi-même.
– As-tu jamais pensé à... changer de vie? demande Emma à Jerry au début de leur histoire.
– C’est impossible, répond Jerry. Tout est dit et pourtant leur histoire va durer sept années, pendant lesquelles ni l’un ni l’autre ne voudra renoncer à ses illusions.
Emma demande à Jerry à propos du studio où ils se retrouvent en secret: – Tu l’aimes toujours notre... maison? A la fin de leur histoire, Jerry lui dira: – Je sais ce que tu voulais… mais on n’aurait jamais pu en faire une...vraie maison. Tu as ta maison. J’ai ma maison. (…) Et des enfants. Deux enfants dans chacune des deux maisons. Chacun a son désir, pas forcément compatible avec celui de l’autre.
Robert lui aussi continue envers et contre tout à proposer des parties de squash à son ami Jerry. – Qu’est-ce qui te tracasse? Pas ton histoire avec Emma, si? (...) Ce n’est pas bien grave, si demande Robert à Jerry.
Ce n’est pas bien grave…
C’est un peu comme si rien ne portait jamais à conséquence: Emma veut créer un vrai foyer avec Jerry, pourtant leur histoire reste secrète pendant sept ans. Pendant ces sept années, Jerry couche avec la femme de son meilleur ami, mais rien ne doit changer entre Robert et lui. Robert sait que Jerry le trahit, mais lui aussi veut poursuivre cette amitié malgré tout.
Ce n’est pas bien grave… Mais ce n’est pas sans conséquence qu’il faudra assumer. C’est, pour moi, la modernité de cette pièce, je dirais même sa nécessité aujourd’hui, dans un monde où l’on est souvent coupé de soi-même, inconséquent, dramatiquement sans repère.
En effet, le monde s’écroule quand Jerry apprend que Robert sait, que Robert savait depuis quatre ans. – J’ai cru que j’allais perdre la raison, dit-il à Robert qu’il a convoqué en catastrophe.
On ne peut pas se voiler la face éternellement, vient le moment où la réalité vous rattrape, vous prend à la gorge et ne vous lâche plus. Alors tout s’écroule, ça n’a plus d’importance, ça n’existe plus. (…) Tout est tout à fait fini, assène Emma à la fin de la première scène.
Oui, tout est fini à la fin de la première scène mais, pour le public, tout commence en réalité, car cette histoire nous est racontée à l’envers, en partant des retrouvailles d’Emma et Jerry, deux ans après leur séparation. On découvre ensuite petit à petit les trahisons multiples, les petites lâchetés, les tentatives de dire les choses sans y arriver. La trajectoire est ludique et jouissive pour le spectateur qui a toujours un coup d’avance sur les personnages. Tout cela pour enfin atteindre le point de départ, une passion brûlante, un désir impérieux pour ces êtres-là de se serrer l’un contre l’autre.