Au départ, il y a quelques expériences qui, de façon soudaine ou lente, décantent le regard : ce renardeau, qui fouille les buissons, et semble peu intéressé par ma présence pourtant si proche ; ce rouge-queue, au contraire, dont le corps paraît vibrer de curiosité, et qui ne cesse de se rapprocher, nous dévisageant, nous envisageant ; ce chevreuil, enfin, qui plonge son regard dans le nôtre, et donne toute son intensité au mot rencontre : que disent-ils ? Que se passe-t-il alors ?
François Chanteloup
En visages, ces corps
Au départ, il y a quelques expériences qui, de façon soudaine ou lente, décantent le regard : ce renardeau, qui fouille les buissons, et semble peu intéressé par ma présence pourtant si proche ; ce rouge-queue, au contraire, dont le corps paraît vibrer de curiosité, et qui ne cesse de se rapprocher, nous dévisageant, nous envisageant ; ce chevreuil, enfin, qui plonge son regard dans le nôtre, et donne toute son intensité au mot rencontre : que disent-ils ? Que se passe-t-il alors ?
On peut certes dire une émotion, en la racontant, en l’inventoriant : mais comment la transformer verbalement pour la rendre accessible, pour la transmettre profondément et faire honneur à sa puissance initiale ? Tout l’enjeu est là : creuser la langue pour la rendre apte à recevoir des non-humains. De même qu’Eduardo Kohn développe une « anthropologie au-delà de l’humain », visant notamment à déceler les pensées des forêts, de même une écriture fascinée par les apparitions, rencontres ou dissimulations animales, doit trouver de nouvelles ressources langagières et poétiques permettant de s’insérer dans les brèches ouvertes par une nouvelle considération du vivant.