Je m’intéresse à la politique, c’est-à-dire à un art de l’ambiguïté, de la contradiction, de gestes simples et de fins incertaines - William Kentridge
Caroline Logiou
Il est possible que je pleure - Mars 2021
Je veux parler de la montée des extrêmes droites en Europe et plus particulièrement d’une région que je connais bien, un territoire avec un passé industriel florissant et aujourd’hui, mis à l’arrêt.
Sujet vaste, politique, délicat à traiter.
D’autant plus sensible à aborder pour moi que j’y prends comme matière première et comme terrain d’observation, une partie de ma famille. Comment parler de leurs corps déformés par le travail, de leurs dents qui se chevauchent, de leur collection de poupées en porcelaine et de leur tendresse pour la variété française sans les réduire à cela ? Comment ne pas les juger pour leur choix politique ?
Je suis au fond de la mer. Il fait sombre. L’eau est froide. C’est là que je le vois arriver. Lentement. Si lentement qu’au début je ne me méfie pas. Il est là. Il se dirige vers moi. Il est immense. Au début, c’est une ombre. Je le distingue à peine. Je doute même de sa matérialité. Et puis, petit à petit, se dégage une masse noire aux contours lisses et brillants. L’animal est imposant. Je le reconnais à son aileron. Il avance vers moi lentement. Tellement lentement que le temps prend de la consistance. Ses yeux me regardent. Il plonge son regard dans le mien comme seul un animal ou un tout petit enfant peut le faire. Il m’observe. Bientôt, il ne restera plus rien de moi, j’en suis certaine à présent. Je ne fais pas partie de son paysage. Nous nous regardons sans pouvoir nous dire quelque chose l’un de l’autre. Nous nous regardons comme des ennemis.
Caroline Logiou est l’auteure de huit pièces pour le théâtre : Gris Balte (Ed. Nuit myrtide), L’espace d’un instant, Jour blanc (Ed. Nuit myrtide), Devant les yeux, Y est une voyelle (Ed. Dramedition), Les bras engourdis (Ed. Lansman), Image fantôme (Ed. Dramedition), Le ciel est toujours bleu.