Ensuite viendra le temps de l’analyse. Nous serons lucides sur nous-mêmes. Les illusions seront perdues, mais on croira y avoir gagné au change. On parlera d’amour, beaucoup d’amour, d’amour qui manque ou qui a manqué. De toute façon, on n’en a jamais assez.
Alors on se dira que tout n’est pas perdu, qu’il y a quand même de l’espoir, puisqu’il y a de l’amour ! Et les illusions reviendront au galop, mais on les regardera cette fois avec un petit sourire en coin, un peu moins dupe peut-être que d’habitude. Quoique…
Dans un deuxième temps, on changera de décor, de personnages et d’intrigue. Un homme rentre dans son squat avec une femme ligotée. Ce sera le retour de la nature sauvage et des rapports de force primordiaux. On verra que toute la culture accumulée depuis le début de l’humanité ne sert à rien. Pour survivre, le combat est inévitable : c’est l’autre ou soi. L’autre ce soir-là, c’est elle, Gloria. Capturée, emmenée, déshabillée, elle écoute intensément et se sent curieusement de moins en moins effrayée : elle a perçu quelque-chose qui la touche chez cet homme exclu de la société...
Il y a des liens multiples entre ces deux pièces, entre ces personnages écrasés par le monde qui les entoure, entre les relations homme-femme de ces deux situations à la recherche de douceur humaine. Pourtant les chemins de l’une et de l’autre n’aboutissent pas au même endroit, l’une douce-amère et l’autre tragique.
MISE EN SCENE ET SCENOGRAPHIE
« Nous voulons donner à voir, partager, faire vivre au spectateur une expérience forte. Pour y arriver, il nous faut incarner en profondeur toute la vitalité du texte et en garder la fraîcheur tout au long du processus de répétition. C’est dans la droite ligne du travail de la compagnie des bosons sur l’authenticité et la vitalité du jeu.
Nous voulons aussi travailler sur ce que l’on voit, ce que l’on entend, qui crée en nous des impressions, des sensations, des associations. Nous voulons dessiner des tableaux, vivants évidemment, et explorer les possibilités visuelles de la scénographie, des lumières et du mouvement des acteurs dans l’espace pour créer des moments de suspension, des moments inattendus qui perturbent un peu le cours des choses, pour pousser le réel un peu plus loin et en faire émerger les contradictions et du coup, la richesse.
L’univers scénographique des Dactylos est constitué de panneaux de hêtre ; C’est lisse, homogène et actuel, sauf les deux machines à écrire, signes vintage de l’absurdité de la tâche à accomplir. L’ensemble se replie sur lui-même et le mobilier s’intègre dans le placard qui se referme quand les protagonistes réalisent que leur vie est passée, et que rien n’a changé...
En se repliant, les panneaux découvrent l’antre du tigre, un squat sordide où les plantes en bocaux de verre se mélangent aux livres éparpillés sur le sol. La culture ne sert pas à grand-chose finalement. Et la nature est en train de reprendre ses droits. Dangereusement.
L’ambiance sonore viendra appuyer l’isolement de ces deux espaces, une impression d’être seul au monde dans Les Dactylos et une nature en décomposition – ou plutôt en recomposition – pour Le Tigre. Une ambiance feutrée d’une part et de terre vibrante d’autre part. »
Bruno Emsens